lundi 19 juin 2017

L'homme qui mit fin à l'histoire de Ken Liu

L'homme qui mit fin à l'histoire

Editions : Le Bélial' (collection Une Heure Lumière, 2016)
112 pages

Résumé : imaginez un procédé scientifique révolutionnaire permettant de retourner dans le passé. Une seule et unique fois par période visitée. Par une seule et unique personne. Sans aucune possibilité pour l'observateur d'interférer avec l'objet de son observation. Un procédé qui ouvre les portes de la connaissance, de la vérité, sur les périodes les plus obscures de l'histoire humaine. Plus de mensonges. Plus de secrets d'Etat. Avez-vous déjà entendu parler de l'Unité 731 ? Créée en 1932 sous mandat impérial japonais, dirigée par le lieutenant-général Shirö Shii, cette unité militaire de recherche bactériologique se livra à l'expérimentation humaine à grande échelle dans la province chinoise du Mandchoukouo, entre 1936 et 1945, provoquant la mort de près d'un demi million de personnes… Cette invention révolutionnaire va enfin permettre de savoir la vérité sur ces terribles événements, à peine reconnus en 2002 par le gouvernement japonais, et couverts pendant des années par le gouvernement américain. Quitte à mettre fin à l'Histoire…

Extraitle "monstre" vient par définition d'un autre monde, sans rapport avec le nôtre. Brandir ce terme revient à trancher les liens d'affection et d'angoisse, à affirmer notre supériorité, mais on n'apprend rien, on ne découvre rien. C'est simple et lâche. Je sais à présent qu'il faut s'identifier à un homme comme [lui] pour mesurer l'horrible souffrance qu'il a causée. Il n'y a pas de monstre. Le monstre c'est nous.


Chronique


L’homme qui mit fin à l’histoire, c’est une pure tuerie (sans mauvais jeu de mot… ou peut-être un peu quand même). J’avais découvert le massacre de Nankin avec Tokyo de Mo Hayder, voilà l’unité 731, pas moins que l’une des pires horreurs de l’histoire. Je préfère donc prévenir : même si Ken Liu ne fait jamais dans la surenchère, c’est à coup sûr un livre dur, qui marque et laisse des traces. Je connaissais vaguement l’existence de ce centre d’expérimentation humaine de la seconde guerre mondiale, en ayant entendu parler de « a philosophy of knife » que je n’avais pas eu les tripes de regarder (et c’est toujours le cas). Donc, bizarrement, par l’existence même de ce film (évoqué dans l’homme qui mit fin à l’histoire et qui est un peu à l’origine des événements s’y déroulant), j’en avais déduis que les exactions commises durant la deuxième guerre mondiale par le Japon étaient connues et admises par tous. Grave erreur, dont je me suis rendu compte à travers ce petit bijou qu’est l’homme qui mit fin à l’histoire.

Ce roman se présente sous la forme d’un documentaire, ce qui appuie d’autant plus l’aspect réaliste du texte. La science-fiction y est très légère et à la fois centrale, grâce au procédé utilisé pour « revoir » certains événements du passé. Problème : ils ne peuvent être « visionnés » qu’une fois, par une seule personne donc. Ce procédé controversé nourrit les négationnistes et la polémique.

Plus qu’une leçon d’histoire sur l’unité 731, ce livre est une leçon sur l’histoire elle-même : la façon dont elle se construit, comment elle est abordée par les historiens et le public et sur la façon dont elle peut être remise en question. Si l’unité 731 est comparé à l’Auschwitz d’Asie, le négationnisme aussi peut être mis en lien avec celui qui entoure la shoah. Je n’avais jamais compris comment celui-ci était né, de quelle manière il pouvait être soutenu par certaines personnes. Avec l’unité 731, il est d’autant plus fort qu’il n’y a eu aucun survivant pour témoigner. Tout le mécanisme du doute et de la façon dont il peut être nourri à mesure que le temps passe et que les événements s’éloignent est très bien décrit dans ce livre.
Une citation que j’aime beaucoup et qui illustre ce propos (une parmi tant d’autres, car il y a suffisamment de pépites pour être vraiment très riches dans ce roman) :
« Contre les victimes de cette atrocité, les négationnistes commettent un nouveau crime. Non seulement ils soutiennent les meurtriers et les tortionnaires, mais ils effacent et réduisent au silence les victimes du passé. Ils les tuent une fois de plus. 
Jusqu'à présent, ils avaient la tâche facile. À moins qu'on ne s'oppose avec vigueur à leur déni, les souvenirs perdaient leur netteté avec l'âge, les voix s'éteignaient dans la mort, et les négationnistes finissaient par l'emporter. Les personnes du présent devenaient les exploiteurs des morts. C'est ainsi qu'on a toujours écrit l'histoire. »

Bref, j’ai adoré. Une nouvelle « Heure Lumière » claque, collection qui parvient à aborder des sujets complexes, différents dans chaque livre, mais à chaque fois avec brio.


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