dimanche 4 juin 2017

Le club des petites filles mortes de Gudule

Le club des petites filles mortes

Editions : bragelonne (2008)
669 pages

Résumé : Il y a plus de vingt ans que Gudule tue des petites filles, dans ses ro mans. « C’est de ma propre enfance que je me débarrasse », nous assure-t-elle ; nous lui laissons, ainsi qu’à Freud qu’elle bouscule quelque peu, l’entière respon sabilité de ce propos.
Dans ce recueil, vous trouverez, outre un inédit : « Dancing Lolita », sept romans écrits entre 1995 et 1998 et publiés, pour la majorité d’entre eux, au Fleuve noir, dans la défunte collection « Frayeur » dirigée par Jean Rollin. 
Oyez, bonnes gens, le club des petites filles mortes ouvre ses portes. Au menu : sang frais, frisson, peurs bleues et nuits blanches à gogo. Avis aux amateurs !

Chronique

Il y avait longtemps que je ne m’étais pas pris une telle claque. Le club des petites filles mortes porte très bien son nom. C’est un recueil sur l’enfance, mais pas la rose, pas celle remplie de câlins, de peluches toutes douces et de mondes imaginaires colorés. C’est un recueil d’horreur sur l’enfance, ou plutôt sur l’horreur dans l’enfance. Les câlins y prennent la forme de coups de poing et les peluches et les mondes imaginaires servent à s’échapper de l’horreur du quotidien. Les petites filles ne sont pas épargnées au cours de ces huit novellas et nous non plus. Pour notre plus grand malheur ou bonheur ? Difficile à dire. J’ai rarement lu des récits aussi percutants et j’aime être touchée en plein ventre et plein cœur. On ne peut toutefois pas appeler ça une lecture plaisir.
Bien que le club des petites filles mortes n’ait pas été conçu en tant que recueil, la violence dans l’enfance y est abordée sous diverses formes, de manière éclectique : la pédophilie, la maltraitance, la perte des parents, le harcèlement scolaire, mais aussi le désir de la jeunesse et le refus de la vieillesse. Tout est traité avec beaucoup de justesse, sans manichéisme. Les enfants peuvent être cruels, peuvent subir la cruauté, et peuvent même blesser à leur tour d’autres enfants après l’avoir été eux-mêmes. Certains textes m’ont tordu les tripes, m’ont donné envie de pleurer, m’ont révoltée, m’ont mise mal à l’aise ou tout cela à la fois. Mais aucun ne m’a laissée indifférente.

J’ai particulièrement aimé « dancing lolita », absolument brillant dans son ambiguïté et totalement transgressif. Non seulement l’idée de base est terrifiante, malsaine et horriblement crédible, mais son traitement est époustouflant. Noir, tout est noir dans cet univers où les petites filles sont des grands-mères qui se prostituent pour rester jeunes en apparence. Une entrée en matière qui donne le ton.
De même, « repas éternel » est une nouvelle d’anticipation très dure, qui flirte avec le post-apocalyptique où la société est en ruine, le réchauffement et la surpopulation ont fait des ravages et des solutions ont dû être trouvées. Mais ce monde est-il si différent du nôtre ? Pas dans le reflet trouble que nous renvoie cette lutte des classes et la manière de gérer une hiérarchie graduelle dans l’horreur. Un petit air de 1984, mais en plus frontal encore. Comme pour « dancing lolita », Gudule va jusqu’au bout de ses idées, les développe et leur donne une cohérence et une crédibilité qui fait froid dans le dos. Voilà la conclusion d’un recueil percutant de bout en bout.

Outre ces deux textes d’une puissance qui m’a coupé le souffle, j’ai adoré « la petite fille aux araignées » et « une petite chanson dans la pénombre ». Pourtant, pour le premier, ce n’était pas gagné : je ne suis pas particulièrement fan des araignées (et c’est un euphémisme), alors l’histoire d’une gamine qui élève les araignées ? Beurk. Sauf que ça ne s’arrête pas là. Cette novella m’a beaucoup touchée par son héroïne à la détresse palpable et à la naïveté enfantine qui lui donne l’espoir de retrouver sa mère. L’intrigue est originale, bien ficelée et terriblement bien écrite. Il faut avoir un cœur de pierre pour ne pas avoir envie de protéger cette gamine, victime de la peur de vieillir des grandes personnes. Ou plutôt, d’une grande personne. Alors elle va à son tour se laisser prendre au rêve de retourner en arrière et retrouver ce que l’on a perdu. Pour « une petite chanson dans la pénombre », on est confronté assez rapidement à l’horreur. Comment ne pas être touché par cette petite fille qui voudrait retrouver la vie qu’on lui a volée ? Mais par ce désir, ne risque-t-elle pas de se transformer à son tour en bourreau ? Encore un texte qui prend aux tripes et serre le cœur, car il dépeint si bien l’enfance, avec ses fêtes foraines et son imaginaire coloré, interrompue brutalement pour ne laisser place qu’à un désert sec et mort.

« Entre chien et louve » et « mon âme est une porcherie » sont deux novellas excellentes, qui m’ont mise particulièrement mal à l’aise. Dans la première, nous découvrons une vieille femme, déracinée et emmenée loin de son pays et de sa famille, qui a vécu exclue et perdu ses rêves d’enfant. Son ex-mari, réincarné après sa mort dans le corps d’un chien, découvre peu à peu la réalité de la vie de sa femme, alors qu’il pensait qu’elle était heureuse. Un récit troublant, car on navigue dans les souvenirs d’un homme tombé amoureux d’une petite fille. Et alors qu’il semble aimer sa femme, il ne la connaît au final pas et ne lui a montré que peu de considération (avoir des enfants avec une noire ? Impensable pour lui). C’est un texte très intime.
Avec « mon âme est une porcherie », on suit une petite fille rejetée par les autres, qui tombe amoureuse d’un cochon en peluche et lui prête des pouvoirs magiques, et orgasmiques. Comme dans le précédent texte, il y a quelque chose de très malsain dans cette histoire, et la souffrance et déchéance du personnage principal est difficile à accompagner.

La « baby sitter » est construit à partir des contes de l’enfance qui se mélangent à la réalité pour n’en former plus qu’une matérialité terrifiante. Un huis clos glaçant, à la montée d’horreur progressive, parfaitement maîtrisé.
Finalement, que serait un recueil sur l’enfance sans en aborder un de ses aspects les plus intrinsèquement cruels, celui qui nous montre que les enfants ne sont pas toujours innocents : le harcèlement scolaire ? Gargouille, bien qu’un peu plus classique que les autres novellas, traite du sujet avec un mélange de fantastique et d’horreur bien frontale, en nous dépeignant l’univers clos oppressant d’un couvent.

Pour les amateurs d’horreur, le club des petites filles mortes n’est à manquer sous aucun prétexte. Pour les autres non plus. Un ensemble de textes d’une telle qualité, avec une telle consistance et une telle maîtrise, mêlant poésie et horreur, exposant l’atrocité d’une manière aussi frontale, ça ne court pas les rues. Ni les librairies. Ni nulle part ailleurs.



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