jeudi 25 février 2016

Greta de Catherine Robert

Greta

Edition : TRASH (2015)
149 pages

Résumé : Une prison dans le désert. Un lieu hors du monde et inhumain. Greta a accepté d'y travailler. Pour son malheur. Car après avoir craqué, elle passe de l'autre côté. Celui des détenus. Et son calvaire ne fait que commencer.

ExtraitL'introduction dans l'anus est moins évidente que supposée, car l'orifice est vierge de pénétrations antérieures. Mais Greta pousse durement en tenant la poire d'angoisse à deux doigts. Et commence à tourner. La vis provoque lentement l'écartement des quatre portions formant la partie charnue. Les chairs s'ouvrent. De plus en plus. La victime gueule. Les parois éclatent. Le sang coule. De la merde aussi. Greta se régale.








Chronique


J'attendais Greta avec impatience, depuis la lecture de la nouvelle qui lui a donné naissance et qui m'avait totalement séduite. On peut donc dire que j'avais des attentes plutôt élevées. Et qui ont été parfaitement comblées.

Catherine a un talent pour brosser la psychologie de ses personnages. Dans ses récits, il est toujours facile de comprendre leur ressenti, leurs motivations, et là réside le point fort de ce roman. Car au-delà des horreurs que Greta vit (et elle en vit, il n'y a pas mensonge sur la marchandise), c'est le fait de les vivre avec elle, de l'accompagner psychologiquement dans tout le processus de déshumanisation et d'aliénation qui heurte et qui donne toute son ampleur à la violence du récit. Les descriptions ne sont pas forcément les plus gores qu'on puisse trouver dans TRASH (attention toutefois, elles n'en restent pas moins proches de l'insoutenable pour certaines), mais la plongée dans la psychologie du personnage, crédible et cohérente, fait qu'à aucun moment on ne peut oublier l'humain dans tout ceci, que ces horreurs arrivent à un être humain, avec ses forces, ses faiblesses, ses mécanismes de défense, ses rêves et désillusions et donc on ne peut pas prendre de distance. On souffre avec ce personnage. Malgré la distance que prend Greta avec ses compagnons d'infortune, pour se protéger, ce sentiment s'étend à un certain point à ceux qui l'entourent. Ce qui rend les atrocités plus difficiles à supporter, et plus percutantes.

C'est un livre difficile à lâcher une fois entre les mains, alors même que l'horreur s'amplifie graduellement. D'ailleurs, mon copain l'a également lu quasiment d'une traite, et a tout autant été transporté par Greta.


mardi 23 février 2016

Cheval d'orgueil BD de Bertrand Galic & Marc Lizano

Cheval d'orgueil BD

Edition : SOLEIL (2015)
139 pages

RésuméA l'heure de commémorer les 40 ans du "Cheval d'orgueil', Bertrand Galic et Marc Lizano proposent l'unique adaptation en bande dessinée de ce best-seller. Un petit bijou scintillant de charme et de sensibilité retrançant l'enfance et l'adolescence d'un petit breton du pays bigouden durant les années 1910-1939.

ExtraitLes femmes, émues pour certaines, brillaient comme des perles sous leurs coiffes amidonnées ... c'est l'orgueil des mâles qui a tout fait déraper, une fois n'est pas coutume...




Chronique


Je ne suis une connaisseuse ni en bandes dessinées, ni de l'oeuvre originelle, que je n'ai pas lue. Je ne peux donc pas juger de cette adaptation par rapport au livre duquel elle est tirée, ni de sa qualité en tant que bande dessinée. Le graphisme m'a paru agréable à l'oeil, et les séquences choisies sont parfois pleines de nostalgie, quelque fois percutantes (le parallèle entre le petit garçon qui grandit et son père à la guerre fait son effet) et le plus souvent baignées dans une atmosphère particulière. C'est une initiation à la culture bretonne, à la vie en Bretagne dans les années de l'entre-deux-guerres. Certaines expériences ont une saveur universelle : les jeux d'enfants, les découvertes ; d'autres peuvent sembler très étranges et bien lointaines de notre vie actuelle (de ma vie citadine, en tout cas). Ca fait rêver, et voyager, dans d'autres temps. Il manque peut-être une trame, une histoire, mais le livre est si court (139 pages) tandis que l'original est plutôt conséquent (552 pages) qu'il me semble que les auteurs ont davantage cherché à y instaurer l'atmosphère qu'à être fidèle sur le plan scénaristique. Du coup, le temps passe vite et je suis restée un peu sur ma faim : il m'aurait plu d'avoir davantage de détails. Mais pour s'initier à cet univers, et donner envie de s'y plonger plus encore, c'est suffisant. Merci à Babelio et aux éditions SOLEIL pour cette jolie découverte.



dimanche 14 février 2016

Robe de marié de Pierre Lemaitre

Robe de marié

Edition : le livre de poche (2010)
314 pages

Résumé : Nul n'est à l'abri de la folie. Sophie, une jeune femme qui mène une existence paisible, commence à sombrer lentement dans la démence : mille petits signes inquiétants s'accumulent puis tout s'accélère. Est-elle responsable de la mort de sa belle-mère, de celle de son mari infirme ? Peu à peu, elle se retrouve impliquée dans plusieurs meurtres dont, curieusement, elle n'a aucun souvenir. Alors, désespérée mais lucide, elle organise sa fuite; elle va changer de nom, de vie, se marier, mais son douloureux passé la rattrape... Les ombres de Hitchcock et de Brian de Palma planent sur ce thriller diabolique.





Chronique



Un livre déroutant… c'est sa construction très particulière, bien menée, qui lui donne son originalité et son impact.


La première partie est vraiment exaltante, névrotique, portée par une écriture nerveuse, efficace, qui nous plonge dans l'aliénation. C'est celle que j'ai préféré.


La deuxième partie est diabolique, terriblement machiavélique, mais un peu longue. Le rythme est un peu moins soutenu, à certains moments répétitif, et il m'est arrivé de décrocher. Néanmoins, je n'étais pas dans l'humeur la plus adéquate pour lire du thriller, surtout un aussi sombre, brutal, et la fatigue aidant, je ne peux pas vraiment déterminer si c'est le roman qui est en cause ou des facteurs plus personnels.


Du coup, les deux dernières parties ont à nouveau un rythme vif, mais je ne peux pas dire avoir été subjuguée, sans toutefois y trouver des raisons valables. La fin elle-même clôt bien le récit, la boucle est bouclée, mais j'aurais aimé connaître plus de détails sur l'histoire qu'il y a eu entre les deux mères.
Dans la dernière partie, j'ai apprécié l'inversion des rôles, qui remet en question les sentiments que nous avons pu développer pour les protagonistes, nous obligeant à les nuancer. Tout est gris, et ça j'aime. J'aurais juste préféré que certaines choses ne soient pas dites noir sur blanc, pour nous les laisser ressentir.



En bref, un bon thriller, bien maîtrisé, qui mérite d'être lu, mais qui ne m'a pas totalement embarquée (mais peut-être le moment pour le lire était-il mal choisi). J'ai adoré l'histoire, la construction, et les personnages sont très intéressants donc mon humeur a très certainement joué dans mon manque d'exaltation.


samedi 13 février 2016

Mordre le bouclier de Justine Niogret

Mordre le bouclier

Edition : Mnémos (2011)
197 pages

Résumé : Castel de Broe, six mois ont passé depuis la mort de Noalle et Chien du heaume, anéantie par la perte de ses doigts, s’abîme dans la contemplation de sa griffe de fer, cadeau de Regehir le forgeron. Bréhyr entend lui redonner vie et l’entraîne sur les routes à la recherche du dernier homme qu’elle doit tuer : Herôon. Parti en Terre sainte, celui-ci reviendra par le Tor, une tour mythique où le monde des vivants s’ouvre à celui des morts. Les deux guerrières remontent alors le sillage de sang, de larmes et de pourriture des croisades, arpentant côte à côte la voie de la folie et de la vengeance. Dans ce calvaire, Chien rencontrera Saint Roses, chevalier à la beauté d’icône, au savoir de maestre et dont la foi s’est érodée au pied des hautes murailles de Jérusalem. Une faible lueur qui annonce peut-être un espoir de rédemption.


Chronique


Ce tome tourne autour de deux personnages principalement : Chien mais aussi Bréhyr, que j'ai été ravie de connaître mieux. Les deux sont des guerrières et pourtant, elles se situent souvent à l'opposé, tant dans leur caractère que leur quête. Bréhyr est déterminée, guidée par une rage froide, dure alors que Chien est perdue et se laisse porter par sa colère flamboyante.

Pour Chien, d'ailleurs, ce tome forme une sorte de boucle avec le précédent : elle est à nouveau en quête de son identité, et face à celle-ci, elle réapprend ce qu'elle avait découvert dans le tome précédent, à travers la présence d'un homme (Bruec dans le premier tome, Saint Roses dans celui-ci) : Je m'appartiens, mon nom m'appartient. Je suis Chien du heaume.[…] Je ne voyais pas, ni mon vrai nom, ni qui était ma mère, ni que ma haine n'avait pas à être tournée vers moi-même.[…] Je suis née sans père et sans mère, je suis née Chien, je suis née sur un champ de bataille. Les autres apprennent à se battre ; moi je dois apprendre à vivre.

Mais le récit ne s'arrête pas là puisqu'à travers la plume unique de Justine Niogret, nous découvrons un monde en transition, en perdition, ainsi que les croisades, dans une ambiance noire et onirique. C'est surtout un voyage à travers la folie, à la recherche de soi-même. Et certaines des réflexions qui sont semées au grès de ces vents traversent les âges pour venir nous parler de notre propre vie, de nos propres peurs et de nos quêtes.



Chien du heaume de Justine Niogret

Chien du Heaume

Edition : Mnémos (2009)
216 pages

Résumé : On l'appelle Chien du Heaume parce qu'elle n'a plus ni nom ni passé, juste une hache ornée de serpents à qui elle a confié sa vie. La quête de ses origines la mène sur les terres brumeuses du chevalier Sanglier, qui règne sans partage sur le castel de Broe. Elle y rencontre Regehir, le forgeron à la gueule barrée d'une croix, Iynge, le jeune guerrier à la voix douce, mais aussi des ennemis à la langue fourbe ou à l'épée traîtresse. Comme la Salamandre, cauchemar des hommes de guerre...

On l'appelle Chien du Heaume parce qu'à chaque bataille, c'est elle qu'on siffle.

Dans l'univers âpre et sans merci du haut Moyen Âge, loin de l'image idéalisée que l'on se fait de ces temps cruels, une femme se bat pour retrouver ce qu'elle a de plus cher, son passé et son identité.


Chronique


Est-ce un roman de fantasy ? Je ne saurais le dire tant il ne ressemble à rien de ce que j'ai pu lire auparavant. Le Moyen-âge décris ici est dur, sale, les personnages sont tous âpres et cabossés. A côté de ce livre, la fantasy habituelle me semble presque fade et aseptisée.


Le personnage principal n'est pas beau, n'est pas un héros : Chien du Heaume est grasse, couturée de cicatrices, sale, brutale… le début est difficile car on est confronté à ce monde bien différent du notre et de celui qu'on a l'habitude de lire. Mais peu à peu, on apprivoise ces personnages et on les adopte. Car, au milieu de ces pierres glacées ou brûlantes selon la saison et de ces brumes, il y a une grande tendresse. La quête de Chien, et plus que ça : Chien elle-même, sont terriblement touchantes. Mais ce qui rend ce livre si unique, c'est vraiment le style de son auteure. Il y a quelque chose de vraiment très beau, et pourtant dur, dans ce mélange de phrases hachées ou encore presque liquides tant elles peuvent être fluides. C'est difficile à décrire et Naëlle le fait mieux que moi, donc je préfère la citer sur ce coup : "Elle alterne ton haché et écriture déliée, le tout enrobé d’images fortes, qui frappent par leur nature souvent bestiale, brutale. C’est une écriture de contraste : on est tantôt emporté par sa fluidité, tantôt tenu à distance par les coups de hache des phrases courtes. Et, parfois, les deux s’allient ; on a alors envie de lire à voix haute pour mieux savourer la poésie du texte, et on le fait."



C'est vraiment unique et je suis heureuse d'avoir lu ce livre, qui est parvenu à m'habiter et restera dans un petit coin de ma tête très longtemps, je remercie donc Naëlle parce que sans sa présentation de l'auteure, je ne m'y serai jamais intéressée.



Dernier point : rares ont été les personnages que j'ai détestés autant que Noalle ! Ah, qu'est-ce que je l'ai vue mourir dans mes pensées de nombreuses fois !



Je lirai les autres romans de l'auteure, c'est certain (et je frétille déjà d'impatience d'avoir Gueule de Truie entre mes mains, même si je compte me le laisser pour la fin).


Hématome de Maud Mayeras

Hématome

Edition : Calmann-Lévy (2006)
278 pages

Résumé : Dans une chambre d'hôpital, une jeune femme se réveille péniblement. Elle ne sait ni qui elle est, ni pourquoi son corps la fait autant souffrir : sa mémoire est comme effacée. A son chevet, Karter, son compagnon, effondré, lui apprend qu'on l'a agressée, puis violée. Dès sa sortie, Emma, assaillie par des flashs terrifiants, tente de reconstituer le puzzle de sa vie. Qui l'a agressée alors qu'elle attendait un enfant ? Quel grand malheur a mis un terme à sa carrière ? Et pourquoi le silence la sépare-t-il de son père depuis toutes ces années ? Bribe par bribe, les souvenirs ressurgissent, sans apporter compréhension ni réconfort. Emma croise des personnages de plus en plus inquiétants et la mort semble peu à peu tout recouvrir autour d'elle...


Chronique


Un coup de coeur ! Rares sont les auteurs qui parviennent dès leur premier livre à une telle maitrise… Le style de Maud Mayeras m'a subjuguée : il s'agit probablement du thriller le plus touchant que j'ai pu lire, dès les toutes premières pages, j'ai ressenti une empathie incroyable pour Emma. Si l'intrigue n'est pas particulièrement originale, la façon de la traiter sort des sentiers battus : plutôt qu'une enquête, on suit Emma dans sa reconstruction et - disons-le - sa destruction. Plus le roman avance, plus l'abattement est total. Rien n'est épargné à notre Emma et l'on ne peut que ressentir sa douleur à la découverte de son passé. Le rythme est très lent, ce qui contribue à l'ambiance oppressante, étouffante. Et la fin est parfaite.

Un livre qui a su me toucher au coeur tout en me tordant les entrailles. Que demander de plus ? Maud Mayeras est assurément une auteure à suivre.


dimanche 7 février 2016

Métaphysique des tubes d'Amélie Nothomb

Métaphysique des tubes

Edition : Thélème (2012)
3h15

Résumé : Parce qu'elle ne bouge pas et ne pleure pas, se bornant à quelques fonctions essentielles - déglutition, digestion, excrétion -, ses parents l'ont surnommée la Plante.
L'intéressée se considère plutôt, à ce stade, comme un tube. Mais ce tube, c'est Dieu. Le lecteur comprendra vite pourquoi, et apprendra aussi que la vie de Dieu n'est pas éternelle, même au pays du Soleil levant...
Avec cette " autobiographie de zéro à trois ans ", la romancière de Stupeur et tremblements, Grand Prix du roman de l'Académie française en 1999, nous révèle des aspects ignorés de sa personnalité et de la vie en général, tout en se montrant plus incisive, plus lucide et plus drôle que jamais.


Chronique


Mon premier Amélie Nothomb fut Stupeur et tremblements, qui était resté, jusqu'à présent, mon préféré. Les autres livres de cette auteure que j'ai pu lire m'ont tous moyennement emballée, généralement à cause d'une fin qui me semblait tombée comme un cheveu sur la soupe, si elle n'était pas tout simplement inexistante.

Métaphysique des tubes réunit ce que j'aime chez Nothomb, sans les défauts habituels que je lui reproche. Il est drôle, léger, original (une auto-biographie de ses 0 à 3 ans, c'est clairement un concept non exploité auparavant), cynique. Ce n'est absolument pas réaliste, mais là n'est pas l'intérêt du livre. Il y a cette découverte du monde par un enfant, avec l'innocence et la magie que cela implique, mais aussi avec lucidité, pertinence, à travers un regard sagace et ironique. Le livre est traversé de moments de grâce, de beauté, mais aussi d'horreur, de jubilation. Certains passages sont truculents. C'est un roman qui parle de la vie, et qui en parle bien. Je l'ai trouvé très juste, dans le ton, malgré, peut-être même grâce à, sa fantaisie, son irrationalisme. Il s'éloigne du réel pour mieux l'évoquer. C'est un roman court, mais qui aborde de nombreux sujets et invite à la réflexion, parfois, à la vie le plus souvent, le plus simplement.

Pour évoquer le format audio, il s'agissait de ma première fois. C'était un peu étrange, au départ, d'entendre une voix me raconter l'histoire, plutôt que de la lire. Mais ce livre s'y prête bien, avec réellement l'impression d'entendre le récit auto-biographique d'une personne qui se confierait. C'était une expérience intéressante. La voix d'Elodie Huber est très agréable.


Merci à Babelio et aux éditions Thélème pour ce très bon moment d'écoute et de littérature.


samedi 6 février 2016

Une fille parfaite de Mary Kubica

Une fille parfaite

Edition : Harlequin (2015)
390 pages

Résumé : « Je la suis depuis plusieurs jours. Je sais où elle fait ses courses, où elle travaille. Je ne connais pas la couleur de ses yeux ni comment est son regard quand elle a peur. Mais je le saurai bientôt. » Incapable de dire non au séduisant et énigmatique inconnu qu’elle vient de rencontrer dans un bar, Mia Dennett accepte de le suivre jusqu’à chez lui. Sans savoir qu’elle vient de commettre une grave erreur. Et que rien, jamais, ne sera plus comme avant.

Extrait : « Avec un crayon et une feuille de papier, elle éprouve la même sensation que moi avec une arme : de l’assurance, du contrôle. »


Chronique


Un peu long au démarrage, ce roman ne m'a pas totalement convaincue malgré des qualités indéniables.

En effet, la construction à trois voix, mettant de côté celle de Mia, est intéressante mais pas toujours pertinente : certains chapitres pourraient presque être qualifiés d'inutiles, ou en tout cas de trop longs. Les passages décrivant le malheur d'Eve, la compassion et la recherche désespérée de Mia par Gabe sont importants mais parfois redondants. Si l'intensité émotionnelle est bien dosée, il n'y a pas besoin d'en rajouter des tonnes. Si les personnages sont bien dessinés, ce n'est pas nécessaire d'appuyer de façon trop répétée leurs caractéristiques à travers leur quotidien et leurs pensées. A force de trop vouloir bien faire, on en fait parfois un peu trop. Il y a donc quelques longueurs.

Un autre point très important : les personnages. Mary Kubica prend le parti de centrer son thriller sur l'émotion et les relations qui se nouent et se dénouent entre eux. C'est toute l'originalité du livre, mais c'est un peu déstabilisant car je m'attendais à quelque chose de plus sombre, de plus glauque. Quelque chose plus dans la veine de Robe de Marié. Or ce n'est pas du tout le cas, tout est en douceur, s'installe progressivement. J'ai aimé l'évolution des personnages et de leurs liens. Mais le départ a tout de même été assez difficile car ceux-ci peuvent se montrer agaçants : Colin reste centré sur ses préjugés, Eve et Mia ont tendance à trop se positionner en tant que victimes. Gabe est un personnage qui m'a laissée assez froide tout au long (sauf à l'apparition de la mère de Colin). Mais petit à petit, leurs rencontres/séparations les font évoluer. Et ces défauts sont aussi ce qui les rend plus réalistes.

La fin est touchante mais la dernière révélation ne m'a pas plus surprise que ça étant donné que des indices avaient été semés auparavant, assez incongrus pour m'interpeller et un peu trop appuyés peut-être, forçant à se questionner. Mais ça n'enlève rien à l'aspect dramatique de la situation.

Donc il y a du bon dans tout ça, pas mal de bon même. Mais je n'ai pas été totalement embarquée, mon attachement aux personnages ayant un peu tardé, le rythme prenant un peu trop son temps pour s'installer. Mes attentes étaient peut-être trop différentes de ce qui m'attendait : une fresque relationnelle, interrogeant sur l'amour, les liens unissant les différents protagonistes, plus qu'un thriller dérangeant et sombre. Mais je remercie Babelio et les éditions Mosaïc pour cette découverte intéressante.



Lésions irréparables de Corsélien

Lésions irréparables

Edition : Vaugirard (1990)
157 pages

Résumé : Le moment le plus étonnant avait été celui où le pieu de fer, ayant traversé tout au long le corps nu de Gunther Schodan, était apparu, pointe brillante au fond de la bouche ouverte sur un effroyable cri muet.


Chronique



Voilà un livre qui m'a fait de l'effet ! J'ai été totalement embarquée, il est incontestablement addictif. Le suspense ne tourne pas autour de qui est le tueur, mais plutôt quels sont ses motifs, et qui sont réellement les victimes. Même si on se doute fortement de la page de l'Histoire concernée, on ne peut qu'avoir envie de découvrir l'horreur cachée sous l'horreur. Et là, la question se pose : qui est vraiment le monstre ? Le tueur est-il logiquo-sadique ou sadiquo-logique ? comme dirait Oskar.

Le prince au nom imprononçable est un personnage fascinant… c'est le prince charmant : riche, beau, doux et tout le tralala. Mais il a ce petit plus qui lui donne une autre dimension, le rendant infiniment plus intéressant… et qui forcément donne à ce fantasme une allure plus malsaine.

Les effets gores sont bien dosés, toujours imaginatifs et ces meurtres suivent une certaine logique qui les rend d'une certaine façon acceptables… car qui n'a jamais souhaité un tel retour de bâtons à ces personnes-là ? Et c'est cette confrontation aux actes en eux-mêmes qui met mal à l'aise.

La fin m'a aussi totalement convaincue, car elle fait basculer la "normalité" dans la folie, sous-entendant que tout le monde pourrait s'y laisser prendre. J'ai aimé l'intervention du personnage de la française pour cela.

Lésions irréparables donc… à tous les niveaux : pour les victimes certes, pour le monde aussi, pour tous les personnages d'une certaine façon et enfin pour le lecteur.


Le village des ténèbres de David Coulon

Le village des ténèbres

Edition : Les nouveaux auteurs (2015)
520 pages

Résumé : Un flic, son amie, et un commercial sont faits prisonniers dans un village où ne vivent que des femmes. Les protagonistes chercheront à s'échapper et à percer le mystère de ce bourg perdu dans la forêt. Ils ne sont pas les seuls captifs... Coup de coeur de Franck Thilliez, Président du jury Prix VSD 2015

Extrait : Il arracha la redingote de la clocharde. Découvrit un torse décrépit par les ans, creusé, jauni. La vieille ne portait pas de soutien-gorge, Luc vit deux petits seins flasques, pendant comme deux filtres à café usés par le passage de l'eau chaude. Il posa les mains sur son torse, cherchant son coeur. Il entreprit le message cardiaque. Fit le décompte. Se rappela qu'au bout du décompte, il devait faire du bouche-à-bouche à la vieille. Poser sa bouche à lui sur cette bouche dégoulinante de sang.


Chronique


Un thriller horrifique, plus proche du survival que du policier. Il est porté par un rythme effréné le rendant très addictif. Les changements de point de vue ainsi que les chapitres très courts amènent à tourner les pages sans vouloir s'arrêter avant le fin mot de l'histoire. Mais ce que j'ai particulièrement apprécié, c'est le style percutant et l'utilisation très pertinente des parenthèses. Quant au traitement de l'histoire, rien ne nous est épargné. Certains passages, très visuels, font froid dans le dos et pourraient étonner les lecteurs habitués aux thrillers moins sanglants. Zaroff a comparé David Coulon à Jack Ketchum, et effectivement, le style imagé, le rythme, la violence, les rassemblent. Les personnages sont suffisamment attachants, et humains, pour que leur sort nous importe, et que nous soyons embarqués.


(Spoilers) Le fait que les « méchants » de l'histoire soient des résistants, persuadés d'agir pour la bonne cause, donne aussi une autre dimension, plus ambigüe, et plus choquante encore. C'est toucher à un évènement qui a marqué l'histoire, et le désacraliser, en inversant les rôles. D'autant plus que ces « méchants » sont aussi des victimes. Et que les victimes finissent bourreaux, avec les génitrices capturées qui peu à peu perdent elles aussi la raison et deviennent ennemies des nouvelles arrivantes. (Fin des spoilers)


1984 de George Orwell

1984

Edition : Folio (1985)
439 pages
1ère édition : Gallimard (1950)

Résumé : De tous les carrefours importants, le visage à la moustache noire vous fixait du regard. Il y en avait un sur le mur d'en face. 

BIG BROTHER VOUS REGARDE, répétait la légende, tandis que le regard des yeux noirs pénétrait les yeux de WINSTON... Au loin, un hélicoptère glissa entre les toits, plana un moment, telle une mouche bleue, puis repartit comme une flèche, dans un vol courbe. C'était une patrouille qui venait mettre le nez aux fenêtres des gens. 

Mais les patrouilles n'avaient pas d'importance.
Seule comptait la Police de la Pensée.



Chronique


S'il y a bien un livre que je suis heureuse d'avoir lu, c'est celui-là. Ces derniers temps, j'ai eu tendance à trouver certaines lectures vaines, inconsistantes : le fameux vite lu, vite oublié ! Et j'en suis ressortie parfois frustrée, ne trouvant pas ce que je cherchais dans mes lectures. 1984 a été un remède on ne peut plus efficace, car ces qualificatifs ne peuvent assurément pas lui être imputés.


1984, ce n'est pas qu'un roman qui ouvre la réflexion sur de nombreux sujets intéressants, et vitaux : la place de l'histoire dans la société, la nécessité des mots pour construire une pensée (je ne m'étendrai pas là-dessus, de nombreuses personnes ayant développé cet aspect bien mieux que je n'en aurais été capable) et donc une opposition, l'horreur de la surveillance (qui ne peut que nous amener à se poser la question des dérives éventuelles de certaines pratiques actuelles)… c'est aussi un roman implacable, noir, dans lequel on voit notre héros se débattre dans une tentative de sauvegarde de son identité, plus que de rébellion, qui laisse un goût d'inéluctable. C'est un livre effrayant, qui présente un monde où la solitude est étouffante, où l'abrutissement est la seule solution pour ne pas se faire écraser par la mécanique inexorable d'une société invulnérable. Chaque espoir est broyé, un à un, jusqu'à cette excellente mais terrible fin. C'est un roman de SF, mais c'est aussi un roman d'horreur. J'en ai fais des cauchemars plusieurs soirs de suite, et son étrange atmosphère ainsi que les questions qu'il soulève ne m'ont plus quittée. C'est le livre du genre qui m'aura le plus marquée jusqu'à présent.


mardi 2 février 2016

Le portrait de Dorian Gray d'Oscar Wilde

Le portrait de Dorian Gray

Edition : flammarion ( 2006)
320 pages
1ère édition : Le livre de poche (1966)

RésuméAinsi tu crois qu'il y a seulement Dieu qui voit les âmes, Basil ? Ecarte le rideau et tu verras la mienne. Il avait, prononcé ces mots d'une voix dure et cruelle. - Tu es fou, Dorian, ou tu joues, murmura Hallward en fronçant les sourcils. - Tu ne veux pas ? Alors, je vais le faire moi-même, dit le jeune homme qui arracha le rideau de sa tringle et le jeta par terre. Une exclamation d'horreur s'échappa des lèvres du peintre lorsqu'il vit dans la faible lumière le visage hideux qui lui souriait sur la toile. Il y avait quelque chose dans son expression qui le remplit de dégoût et de répugnance. Grands dieux ! C'était le visage de Dorian Gray qu'il regardait ! L'horreur, quelle qu'elle fût, n'avait pas encore entièrement ravagé sa stupéfiante beauté. Il restait encore des reflets d'or dans la chevelure qui s'éclaircissait et un peu de rouge sur la bouche sensuelle. Les yeux bouffis avaient gardé quelque chose de la beauté de leur bleu. Le contour des narines et le modelé du cou n'avaient pas encore perdu complètement la noblesse de leurs courbes. C'était bien Dorian. Mais qui avait peint ce tableau ? Il lui semblait reconnaître son coup de pinceau. Quant au cadre, il était de lui. C'était une idée monstrueuse et pourtant il eut peur. Il prit la chandelle allumée et la tint devant le portrait, Son nom figurait dans le coin gauche, tracé en longues lettres d'un vermillon brillant.

Chronique


Ils sont rares les classiques qui parviennent à me passionner, mais le portrait de Dorian Gray fait tout à fait exception. Il est riche, dense, mais étrangement accessible. Le ton impertinent, cynique, rend la lecture plus légère et il y a une lascivité, sensualité, prégnante dès les premières phrases. Ce roman est empreint de réflexion sur la vie, sur l'art, la beauté… le personnage d'Henri est absolument fascinant.
Ce roman démarre avec une sorte d'avertissement : la supplique de Basil à Lord Henri de ne pas pervertir Dorian, ainsi que les paroles mêmes de Lord Henri à Dorian : "Les bonnes influences n'existent pas, monsieur. Toute influence est immorale."
Ce roman tourne autour de cette notion d'influence (d'Henri envers Dorian mais aussi d'un livre puis de Dorian lui-même), mais aussi bien sûr sur l'amour (qui finalement lie Basil, Dorian et Henri). Et finalement, sur la beauté, la moralité… Dorian est scindé en deux, et tel Narcisse, il se fascine lui-même, mais dans l'altération même de son âme, dans la déchéance visible qu'il peut se complaire à observer mais qu'il cache au monde entier.
Je dirais aussi que c'est surtout un roman du paradoxe : une peinture qu'on ne doit pas regarder, un hédonisme qu'il semble à la fois promouvoir et condamner…
Au final, nous "sommes ce que nous sommes", ce que Dorian n'accepte pas vu qu'il se protège d'une partie de lui en l'enfermant dans une pièce sombre inaccessible.
Il y a des tonnes de symboliques, de réflexions, et si n'ai probablement pas été sensible à tous, je pense qu'avant tout, c'est un roman qui se savoure, car comme le dit Oscar Wilde : 'il n'existe pas de livres moraux ou immoraux, juste des livres bien ou mal écrits". Et celui-ci est sans aucun doute extrêmement bien écrit.